Bernat Combi & Olivier Peirat

“Eschantits”

Pour mieux connaître le duo ESCHANTITS (Feux-Follets en occitan), de plus en plus présent sur la scène régionale, et remarqué lors du Festival.-off des dernières Nuits de Nacre à Tulle, nous avons rencontré Olivier Peirat (piano, vielle à roue) et Bernat Combi (chant, percussions), qui forment également le trio RAIC, avec le chabretaire Jan-Maria Caunet.
Portraits de deux musiciens aux destins croisés unis par une même passion du chant traditionnel limousin.

N.M.L. : Pour mieux connaître Eschantits, parlez-nous de vous, de vos itinéraires, de votre arrivée dans la musique.

Olivier Peirat : La musique, ça fait très longtemps que j’en fais. J’en ai fait parce que mon père jouait de l’accordéon chromatique. Mes parents habitaient Toulouse pour travailler, le Limousin était un peu loin, alors on le faisait ressortir par la musique. Un jour, j’avais trois ou quatre ans, je lisais une bande dessinée, une adaptation du Roman de Renart, et j’ai vu un renard qui jouait de la vielle à roue. Alors tout de suite, j’ai dit, c’est évident, c’est ça qu’il faut que je joue un jour et je lai fait à 17 ans. Avant, j’avais pris des cours de piano et de solfège au conservatoire. Mais j’avais recherché quand môme mes racines, je m’étais un petit peu interrogé sur ce que je faisais là, j’avais besoin du Limousin, et c’est passé surtout à travers la musique. L’autre étape, ça a été de revenir vivre ici.

Bernat Combi : Moi, ce n’est pas tout à fait comme Olivier, puisque je suis né de parents hyper- limousins depuis au moins dix générations. Ma mère et mon père ne parlaient pas un mot de français à la maison, même s’ils me parlaient français à moi. Dans les années 70-72, je devais avoir douze ans, je chantais des chansons de Michel Sardou en oc, parce que j’avais envie de parler cette langue. Au début, j’ai eu envie de faire le dur, j’ai fait du rock parce que j’étais limousin, je n’avais pas conscience… Peut-être d’ailleurs qu’il faut être à l’extérieur pour comprendre Et puis, il a fallu que j’essaye de m’y mettre parce que mon père chantait beaucoup, dans les batteuses, monté sur la table et parce que j’ai rencontré des gens, comme Jan Dau Melhau, qui m’a appris pas mal de chansons, et avec lequel on a fait du collectage. Maintenant, je me dis qu’il faut que je me rattrape, qu’il y a des choses à faire avec tous ces chants de tradition, avec cette langue que j’ai toujours entendue, et c’est pour ça qu’on a eu l’idée de faire ce duo avec le piano…

N.M.L. : La musique, elle est faite comment ?

O.P. : Ça part d’une idée, d’un thème d’une chanson, et puis chacun bricole dessus, amène des éléments. On aime bien tous les deux le spontané, il n’y a rien d’écrit parce que la musique traditionnelle doit être une musique vivante, toujours cultivée.

B.C. : Ça ressemble au père Combi qui montait sur la table, ou ça peut ressembler à ça. On n’a presque pas changé les mélodies des chansons traditionnelles qui sont dans notre répertoire. Il n’y a que les interprétations sur la mélodie qui sont personnelles.

N.M.L. : Quand on vous entend une fois, on a l’impression de ce « spontané », mais quand on vous entend plusieurs fois, on s’aperçoit qu’en réalité, c’est assez cadré.

O.P. : Évidemment, quand on a monté un morceau, on le fait carré, il est terminé, il est fixé. Après on dévie très peu.

B.C. : La base, c’est quand même la langue, c’est ce qui nous intéresse. Tout le répertoire est à base de chansons traditionnelles, avec quelques chansons de Jan Dau Melhau. Si on a choisi le piano, c’est pour y mettre notre sensibilité personnelle parce qu’on aime bien Keith Jarrett par exemple, et si on écoute Yann-Fanch Kemener qui chante en breton accompagné au piano, on trouve que ça peut mettre la Bretagne en valeur. Ce qui est très important aussi, c’est cette notion d’acoustique, moi j’ai fait de la musique électrique pendant dix ans, je peux dire que c’est fini. Désormais, ça sera une petite salle avec un piano. On chantera comme ça devant les gens, j’irai les voir. Il y a la gestuelle, et c’est important. On ne se moque pas des gens quand on joue en acoustique.

N.M.L. : Et quels sont vos projets ?

O.P. : Personnellement, je me libère de mes activités actuelles pour pouvoir m’investir davantage. Avec Bernat, on a la même vue la- dessus, on veut faire une musique vivante, devant un public vivant. D’abord il faut que l’on trouve des salles, des endroits pour jouer, qui soient intéressants, pas dehors, pas sur une place publique, ça ne marche pas.

B.C. : En même temps, parler comme ça, c’est peut-être jouer la carte inverse de la musique populaire, qui se joue partout. Mais nous, on veut présenter des chansons qui méritent vraiment d’être connues, parce que les paroles et les mélodies sont belles… Les projets, c’est éventuellement un jour d’être intermittents mais je crois qu’avant tout, il faut jouer.

O.P. : Il ne faut pas faire passer la charrue avant les boeufs, mais prouver qu’on a quelque chose à dire, et la sélection se fera toute seule.

N.M.L. : La musique que vous jouez, vous la situeriez comment, dans l’espace musical, par rapport aux autres musiciens ?

O. P. Moi, je n’ai pas de dieu, je n’admire personne, et j’aime bien faire ce que j’ai envie de faire. En tout cas, c’est une musique populaire.

B. C. : Le piano provoque parfois des idées débridées, par exemple, on joue la mélodie d’un morceau, et avec des accords, ça donne un morceau à la russe. Je crois que c’est des ambiances qui tombent, presque involontairement, elles ne sont pas cherchées. Pas toujours, mais parfois ça arrive, comme ça, on ne sait pas trop comment.
On veut même aller plus loin, on veut réciter, avec le piano, des poèmes de “la” Marcelle Delpastre, poète, conteuse, ethnologue, est décédée le 6 février 1998.) qui est aussi un symbole très important du Limousin.

O. P. : On aime pouvoir faire plein de clins d’œil à la vie actuelle. Notre musique, on la situe dans le vingtième siècle.
B. C. : Il y a un côté qui me séduit aussi, c’est de faire de cette musique du Limousin, une formulle un peu chanson-cabaret, qui n’a pas été faite jusqu’à maintenant ! Pourquoi le Limousin ne s’écouterait pas aussi comme ça, s’assoire, boire un coup ? Il y a des clins d’oeils parfois à l’opéra, enfin je ne sais pas. S’il y a un morceau qui s’y prête, pourquoi pas. Moi, j’adore Fernandel, “tout condamné à mort aura la tête tranchée”, je veux dire, c’est quelque chose ! Parfois, j’ai bien envie de faire Fernandel, ça fera du Limousin “fernandelisé”. Et puis le violoneux avant, s’il y avait un italien qui se trouvait sur un marché ou une foire, il l’écoutait et il lui piquait un peu de son jeu. On grapille ce que l’on veut…

O. P. : On grapille aussi par rapport à notre écoute et à ce qu’on écoute.

B. C. : En tout cas, pas avec le rock’n roll, on veut pas bouérer le rock’n roll avec la musique limousine. Il y a de très beaux mariages, il y en a qui le font. Comme le groupe “Singlar Blou,” qui parle des champignons en Haute-Corrèze sur un blues-rock. Nous, c’est pas du tout ce que l’on veut. Mais je peux comprendre cette démarche et dire que c’est une démarche pour parler du Limousin.

Propos recueillis par Olivier Durif et Ricet Gallet (CRMTL) pour les Nouvelles Musicales en Limousin, n° 53, mars-avril 1998.