Marien Tixier, vielleux de Haute-Marche

Un musicien populaire à l’aube du XXe siècle

arton67Marien Tixier (1865-1950) est, à la fin de la première guerre mondiale, un des musiciens populaires les plus connus de la Haute-Marche et des Combrailles où il est né, à Verneugheol. Vielleux d’une tradition qui compte alors des dizaines d’instrumentistes dans ces pays montagnards, sa pratique s’enracine dans la modernité du nouveau siècle et la tradition de ce monde campagnard au plus fort de sa démographie et de son extension. La « Fête de la Vielle 2006 » (Cette manifestation coproduite par l’Amicale Laïque de Fernoël, Nigremontis, l’Ecole Intercommunale de Haute-Corrèze, l’Adiam23, le CRMTL, l’AMTA et le Centre Trobar se déroulera le 27 octobre à Fernoël (63), le 28 à Ussel (19) et le 29 à St-Georges-Nigremont.) a décidé de lui rendre un hommage spécifique, à partir du témoignage de ses petits enfants qui lui vouent encore aujourd’hui une admiration que le temps ne semble pas avoir altéré.

«…Il entendait un air et tout de suite, c’était enregistré dans la vielle… Un jour, il revenait de jouer à Herment, il était pas très vieux – treize, quatorze ans – et, dans les sapins il y avait un loup qui le suivait, à cause de la peau de bique qui enveloppait sa vielle. Il se retournait et il voyait ces deux “anternes”. Il se disait : le temps que je déballe la vielle, il va me sauter dessus. Ça c’est finalement bien passé, le loup ne l’a pas attaqué mais il eu peur….
Une autre fois, il m’avait dit : “Je rentrais de nuit, il y avait un genévrier qui se balançait, je croyais que c’était une tête d’homme, je me suis pas dégonflé, je suis allé lui couper la tête !”
Ah c’était un homme charmant ! Il disait que quand il avait cinq ans, il avait une vielle, – je ne sais pas comment il se l’était procurée – sa maman lui chantait des chansons et ils les sortait dans la vielle, voyez-bien que c’était un don !
Son premier mariage, il l’a fait quand il avait onze ans, avant sa première communion… et à pied ! Il était demandé de partout… Il a fait plusieurs fois quatre mariages le même jour et en tout il en a joué plus de huit cents ! C’était pas pour dire mais, à l’époque, c’était un notable !
…Nous, c’était Tixier, mais chez nous on-y-appelait “Chez-le-Poupet” alors je lui disais :
– Pépé pourquoi on appelle Chez-le-Poupet ?
 – Ma maman, elle était jolie, on aurait dit une petite poupée et c’est resté comme ça.

Marien-Tixier-prudent2 Il s’appelait Tixier mais on lui écrivait des lettres “M. le Poupet” et les lettres arrivaient bien, voilà Le Poupet !
Son père à lui, il était garde-chasse au château de Marmontel, c’était un grand croyant. Il allait à la messe à pied pour faire pénitence, et pieds nus, un grand croyant et mon grand-père, çà n’avait rien à voir, il disait : ” Vous n’avez qu’à me mettre dans l’eau, les poissons en profiteront !”. N’empêche, c’était un homme sensationnel, il était honnête, il était droit, c’était vraiment un brave homme, on ne peut pas l’oublier. Il me disait : “Je te donnes ma vielle, tu m’as trop bien soigné, et oui c’est comme çà !”
…Il jouait “Le Gondolier de Venise”, “La Yoyette”, “La Chamisada” et il chantait bien. Des fois il me chantait des chansons “un peu comme ça”, ma mère lui disait :
“— Chantez pas ça devant cette petite ! et il répondait :
— Tôt ou tard, il faudra bien qu’elle le sache!”.
_ C’était quelque chose ce don et je vous dit, tout à pied !
_ Ma grand-mère, Victoire, elle était de la Creuse, de la commune de St-Merd. Alors je disais :
— Pépé comment tu as connue la mémé ? Alors il me disait :
— Je jouais chez Boueix à St-Merd et puis elle me regardait, je voyais bien que je lui plaisais… !
_ Et puis, il jouait partout avec le Gustave Boueix, qui jouait de l’accordéon et l’autre disait ; “Si Marienssou vient pas, moi je jouerais pas !” …C’était pour une fête. Et puis le pépé y est allé, ça “donnait” ! Ils ont même “tombé” l’autre bal tous les deux, oui, oui !
_ Moi je dis, ça serait maintenant, il passerait à la télé, à l’aise ! Il avait même des amis qui voulaient l’emmener à Clermont, mais à l’époque il était déjà paralysé, il a dit non.
_ Qu’est-ce qu’il chantait : “La Marion pura, purara be mai, son amant l’a quittada, tornara djamai..” ,Ça voulait dire “La Marion pleure, son amant l’a quitté, elle pleurera bien plus, il ne reviendra jamais”. Mais c’était les scieurs de long ça !

Marien-Tixier-prudent1_ Des fois, avec un copain on venait le voir, on discutait, il chantait, c’était beau quand même : “La Petite Rosette s’est mariée avec un vieux de quatre vingt-dix ans, passera bien mal son temps…”. Il l’avait du l’entendre cette chanson.
_ Il jouait pour les noces et pour les mariés, dans le cortège, il paraît qu’il jouait en les regardant et à reculons ! Ah oui c’était quelque chose, il avait de la classe ! Et tout le temps gracieux !
_ Un jour, il jouait à Giat y’avait deux femmes dans le bal : – en patois –
— Juga bian qu’p’tit bograssou ! et l’autre lui a répondu :
— E p’tet bian veillassou !
_ La vielle il la faisait chanter — tout le monde le disait — quand il l’avait dans les mains, et oui !

Marien-tixier_prudent_ Son fils ainé, mon oncle, jouait de trois instruments : la vielle, l’accordéon et puis… j’sais pas, mais mon père jouait un peu d’accordéon, c’était massacré, mais il jouait quand même !
_ C’est pour vous dire – les gars de St-Merd – pendant la guerre, ils venaient et il fallait pas danser à l’époque, on aurait pu se faire attraper par les Allemands !
_ Ils montaient l’pépé sur la table à coté et puis la maman disait “Non, non !” Elle regardait l’horloge : “Je vous donne une heure !” et les gars, pendant qu’elle regardait pas, ils arrêtaient l’horloge : Y fallait danser absolument, et puis l’pépé disait jamais non, il était content !
_ Y’avait même un gars qui dansait dans la huche, il disait : “J’ai dansé dans la maie, oh aie aie !”. Les gars de St-Merd, ils dansaient tous bien, c’étaient tous des bons danseurs et même encore aujourd’hui ! Parce qu’ici ça dansait, c’était la maison de la danse, oui !
_ Ah, il faisait les conscrits de la Courtine, je me rappelle qu’il avait passé trois jours et trois nuits sans dormir pour aller passer les conscrits de la Courtine à pied et il venait déja de Gelles, pour les conscrits également, en tout cas, ça lui a fait cent-dix kilomètres à pied. Il allait aussi à Feniers et il était même allé jouer jusqu’aux limites de la Haute-Loire une fois, il en faisait du chemin !
_ Trois jours, trois nuits sans dormir fallait le faire ! Un jour, il était très enrhumé, on lui avait donné des gros grogs et puis c’est reparti, ça se soignait comme ça à l’époque, fallait y aller !
_ …Quand même, il a fallu qu’il joue, pour en user trois vielles !»

Recueilli le 16 juin 2006 auprès de Mme GUILLEY et M. TIXIER, petits enfants de Marien TIXIER à Coussat de Verneugheol (63), par Olivier DURIF, Jean MICHON et Georges PRUDENT.

Article paru dans la revue des Nouvelles Musicales en Limousin, n° 85, octobre 2006-janvier 2007.


En savoir plus sur la « Fête de la vielle »


Cette manifestation coproduite par l’Amicale Laïque de Fernoël, Nigremontis, l’Ecole Intercommunale de Haute-Corrèze, l’Adiam23, le CRMTL, l’AMTA et le Centre Trobar se déroulera le 27 octobre à Fernoël (63), le 28 à Ussel (19) et le 29 à St-Georges-Nigremont.