Sur les traces des Pifraires en Limousin, Auvergne et Velay

1) Introduction

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« Branle du mirliton », détail d’une gravure du XVIIIe siècle attribuée à Guérard, mise en ligne par Gallica, site de la Bibliothèque Nationale. Ce document n’a pas de caractère régional, mais il est intéressant en figurant l’association d’une flûte traversière et d’une cornemuse pour accompagner une danse ronde.

En réunissant ici ces quelques documents, je me propose d’ajouter des couleurs au tableau de notre représentation des musiques traditionnelles anciennes : la focalisation sur certains instruments particuliers (vielle, cabrette et autres cornemuses) omniprésents dans l’imagerie identitaire de nos régions, nous masque parfois la complexité et la richesse de la réalité des pratiques populaires.

Ainsi, comme la musique des violoneux, longtemps ignorée en raison du caractère pas assez local de l’instrument, les fifres et flûtes populaires apparaissent en filigrane dans les témoignages et documents, peu spectaculaires mais bien présents au fil du temps.

Des témoignages s’échelonnent ainsi du XVIe au XXe siècle, à travers diverses descriptions de fêtes, souvent dans l’espace public (fêtes et bals de plein air), des témoignages directs dans les époques les plus récentes, sans oublier les traces matérielles constituées par les quelques instruments retrouvés.

Le croisement provisoire de toutes ces informations permet d’entrevoir la variété des contextes d’utilisation des flûtes dans la musique populaire.


2) Des contextes différents

LA « MUSIQUE VERTE » ET LES INSTRUMENTS ENFANTINS

Détail du bec d’un sifflet de frêne. Cette photo est amicalement fournie par Marc Lemonnier, de la Lozère, qui effectue des animations de « musique verte », et extraite de son site très riche https://www.reveeveille.net
Détail du bec d’un sifflet de frêne. Cette photo est amicalement fournie par Marc Lemonnier, de la Lozère, qui effectue des animations de « musique verte », et extraite de son site très riche https://www.reveeveille.net

Les enfants des campagnes utilisaient des instruments plus ou moins rudimentaires issus de ce qu’on appelle aujourd’hui « la musique verte », c’est-à-dire divers sifflets fabriqués à partir de matériaux végétaux. Il s’agit souvent au départ de jeux d’enfants, mais leur pratique a souvent aussi stimulé des vocations musicales, en faisant des instruments préparatoires à un apprentissage ultérieur (de la cornemuse ou de la clarinette par exemple) : André Ricros, dans un article de recherche , « L’apprentissage de la cabrette dans la Châtaigneraie cantalienne », cite ainsi des flûtes à bec de sureau (dans le canton de Montsalvy).
Parfois l’influence de l’école vient s’ajouter à celle de la transmission populaire, pour stimuler les vocations de musiciens : dans un témoignage recueilli par l’association Les Brayauds auprès d’Emile Mansard dit « Milounet » (dernier joueur ancien de musette Béchonnet des Combrailles, né à la fin du XIXe siècle), celui-ci évoquait le début de son apprentissage avec un instituteur sur une flûte du commerce, du genre pipeau ou flageolet. Dans son article (reproduit in extenso ici), Eric Roux cite des flûtes du même genre vendues bon marché à l’épicerie de Langeac en Haute-Loire, et pratiquées par les enfants.

LES FLÛTES DANS LE MONDE PASTORAL

Joueur de flûte, santon de la crèche de Vicq-sur-Breuilh (Haute-Vienne). Photo aimablement communiquée par Éric Montbel.
Joueur de flûte, santon de la crèche de Vicq-sur-Breuilh (Haute-Vienne). Photo aimablement communiquée par Éric Montbel.

Le rapport de cette famille d’instruments avec l’univers pastoral est ancien, universel et même mythologique, à tel point qu’il est difficile dans certains documents de savoir si l’évocation des bergers avec leurs flûtes relève d’une réalité observée ou de la perpétuation d’une imagerie convenue (par exemple dans les représentations de la Nativité : la crèche de Vicq-sur-Breuil, en Haute-Vienne, comporte des mannequins du XVIIIe siècle parmi lesquels figurent deux musiciens : un chabretaire et un joueur de pipeau).
Néanmoins, Raymond Bûche (cf plus bas), en plus d’associer le flageolet aux bergers, donne des indications plus précises sur un fait surprenant : la survivance au XXe siècle de la flûte de Pan chez les castreurs de porcs. Dans un article très documenté : « Le charme de la syrinx » (consultable ici), Claudine Fabre-Vassas cite également son emploi en Rouergue chez les chiffonniers et en Auvergne chez les chaudronniers.
On peut entendre l’évocation du souvenir d’un berger joueur de flûte dans un témoignage enregistré par Josée Dubreuil à Venteuges (Haute-Loire, région du haut-Allier), écoutable sur le site du Patrimoine oral du Massif Central.
Malgré le peu de sérieux accordé par ce témoin à la qualité musicale de ce berger, il se peut qu’il évoque maladroitement la dernière survivance d’une forme de pratique improvisée ou semi-improvisée, pour le divertissement solitaire du musicien. Si c’était le cas, cela nous rapprocherait de ce qui existe toujours dans la musique pastorale de flûte en maintes autres régions du monde.

Transcription partielle de ce témoignage :

« Ah je l’ai entendu jouer, oui.
– Et qu’est-ce qu’il jouait sur sa flûte ?
– Oh, qu’est-ce qu’il jouait, vous savez, il jouait ce qui lui passait dans la tête, vous savez, c’était plus ou moins juste, vous comprenez, c’était.. c’était pour ainsi dire, pour lui, c’était un passe-temps, et ça amusait les gosses qu’on était, alors à ce moment vous comprenez, ah (…) « le berger viendra aujourd’hui, eh bien s’il vient… », on était content, « …il va jouer de la flûte », et, vous comprenez, on n’y prêtait pas tellement attention. »

LE COUPLE FIFRE-TAMBOUR SOUS L’ANCIEN RÉGIME

Représentation allégorique du couple fifre-tambour, fin XVe ou début XVIe siècle (source : Gallica, site de la Bibliothèque Nationale).
Représentation allégorique du couple fifre-tambour, fin XVe ou début XVIe siècle (source : Gallica, site de la Bibliothèque Nationale).

 

Reproduction complète de de la scène gravée sur le piédestal de croix de Nébouzat (Puy-de-Dôme), extrait de l’article de Pierre-François Fournier (« Le piédestal de croix de Nébouzat et les bourrées d’Auvergne », dans « Auvergne – Cahiers d’études régionales », N°121, L’Auvergne Littéraire 1947).
Reproduction complète de de la scène gravée sur le piédestal de croix de Nébouzat (Puy-de-Dôme), extrait de l’article de Pierre-François Fournier (« Le piédestal de croix de Nébouzat et les bourrées d’Auvergne », dans « Auvergne – Cahiers d’études régionales », N°121, L’Auvergne Littéraire 1947).

 

Joueur de flûte à une main et tambour, gravé sur le piédestal de croix de Nébouzat (Puy-de-Dôme), comportant la date de 1729.
Joueur de flûte à une main et tambour, gravé sur le piédestal de croix de Nébouzat (Puy-de-Dôme), comportant la date de 1729.

De nombreux documents historiques attestent dans nos régions (comme d’ailleurs partout en France), une pratique continue du couple fifre-tambour ou flûte-tambour dans les réjouissances publiques, processions, bals de plein air etc, depuis le XVIe siècle au moins. Beaucoup de témoignages concernent les milieux citadins, mais aussi les campagnes, notamment en Velay et Basse-Auvergne : une citation de 1786 nomme le tambour et le fifre comme instruments de réjouissance les plus usités dans la Limagne d’Auvergne. Pierre Fournier (cf extrait d’article donné en fac-similé) en donne de nombreux exemples puisés dans les archives. Cette pratique se rattache peut-être à la corporation des ménétriers.

Un exemple plus récent est la fête des jardiniers de Tulle décrite par François Célor à la fin du XIXe siècle (voir citation), ainsi que les témoignages du XXe siècle recueillis par Eric roux dans le Val d’allier (voir article).

LE FIFRE MILITAIRE ET DANS LES SOCIÉTÉS MUSICALES

« Un soldat jouant du fifre » estampe du XVIIe siècle de Michel Lasne, graveur, d’après un dessin d’Abraham Bosse (source : Gallica, site de la Bibliothèque Nationale).
« Un soldat jouant du fifre » estampe du XVIIe siècle de Michel Lasne, graveur, d’après un dessin d’Abraham Bosse (source : Gallica, site de la Bibliothèque Nationale).

Reliée à la pratique précédente, la présence très forte du même couple instrumental dans l’armée, est attestée en France depuis la fin XVe-début XVIe siècle, et jusqu’au XIXe siècle, le fifre ayant peu à peu disparu de l’armée française après le Second Empire. Cela a pu être l’occasion de la formation de certains musiciens, et de la circulation des instruments sous leur forme standardisée au XIXe-début Xxe siècles (fifres d’ébène fabriqués en série, tambours « d’ordonnance » militaires).
Dans un univers musical proche, très influencé par la pratique militaire, la présence du fifre et du tambour est notable au XIXème et début du XXéme siècle, dans la pratique de sociétés musicales (fanfares, harmonies), et dans des contextes sociaux cérémoniels particuliers : fêtes des conscrits (ou classards), défilés et processions. Une société musicale actuelle de la Haute-Loire, l’ « Avant-Garde Langeacoise », a recréé un groupe de fifres et tambours qui participe aujourd’hui à des animations historiques dans une région où ces instruments étaient bien présents (voir article d’Eric Roux).

LES MUSICIENS DE BAL

« Noce de campagne », gravure d’après un tableau de Jean-Baptiste Pierre Vibert (1800-1871), publiée dans « Auvergne et Velay » de Régis Marchessoux.
« Noce de campagne », gravure d’après un tableau de Jean-Baptiste Pierre Vibert (1800-1871), publiée dans « Auvergne et Velay » de Régis Marchessoux.

En dehors des contextes précédents, il est certain que les fifres et autres flûtes ont aussi joué pour la danse, si on en croit les témoignages et l’iconographie : deux gravures de « l’ Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet et une gravure publiée en Haute-Loire par Régis Marchessou montrent des joueurs de fifre avec des danseurs. Divers documents écrits (voir plus loin) évoquent la danse au son de ces instruments, tant en Basse-Auvergne qu’en Velay et Limousin. On a recueilli des témoignages sur des musiciens plus récents ayant animé des bals au fifre, notamment en Limousin, aux confins de la Haute-Vienne, de la Corrèze et de la Dordogne (voir plus loin).


3) Les instruments

LA FABRICATION LOCALE

 Joseph la fiula
« Joseph la fiula » jouant de son pifre en buis de fabrication locale (Avril 1982, photo extraite de l’article « Ribeyre » publié par Eric Roux dans la revue Modal (N°5, automne 1984).

L’habileté manuelle des gens de la campagne, enfants, bergers, paysans et artisans, leur a sans doute permis au cours de l’histoire de façonner quantité de sifflets, jouets sonores et instruments rustiques. Ce fait est bien décrit pour la Bretagne par Pierre-Jakez Hélias dans un chapitre du « Cheval d’orgueil », et évoqué par Raymond Bûche pour le Limousin dans l’article cité ci-dessous.

De nombreux témoignages directs ont été recueillis par les collecteurs de l’AMTA et de l’IEO en Auvergne, sur les sifflets d’écorce et les chansonnettes et formulettes rituelles accompagnant leur fabrication (commençant souvent par « saba, saba… ») dont des exemples ont été publiées dans les cassettes « Musique du canton ».

Au-delà des jouets d’enfants, des instruments ont été faits localement, mais hélas rarement conservés : par exemple les flûtes à bec de sureau du canton de Montsalvy (Cantal) rencontrées par André Ricros, ou celles de buis utilisées par les pifraires de Langeac (voir article d’Eric Roux).

DES INSTRUMENTS RÉCUPÉRÉS

Joueur de flûte au XVIIIe siècle (gravure extraite d’un recueil anglais de musique de danse pour flûte traversière« The delightful Pocket Companion for the German Flute »).
Joueur de flûte au XVIIIe siècle (gravure extraite d’un recueil anglais de musique de danse pour flûte traversière« The delightful Pocket Companion for the German Flute »).

De façon peut-être similaire à ce qu’on connaît dans les musiques populaires irlandaises, il y a dans nos régions des exemples d’instruments issus d’une lutherie « savante », récupérés et même reproduits en milieu populaire. On retrouve ainsi des modèles sortis de l’usage dans la musique classique, notamment quelques flûtes traversières proches du modèle baroque, (en trois ou quatre éléments de bois tourné, à une ou trois clefs) retrouvées en Limousin chez des musiciens populaires (Eric Roux mentionne le même fait dans son article sur la Haute-Loire). Jan dau Melhau a retrouvé un exemplaire à Bénayes (Haute-Vienne) de ces flûtes tournées en buis ou en houx (voir photos), et j’en ai moi-même vu une à Angoisse (nord de la Dordogne).

Fac-similé de la flûte du « père Maurissou » (copie effectuée par l’atelier de lutherie du Conservatoire Occitan de Toulouse). Seul le modèle de clef n’est pas conforme à l’original.
Fac-similé de la flûte du « père Maurissou » (copie effectuée par l’atelier de lutherie du Conservatoire Occitan de Toulouse). Seul le modèle de clef n’est pas conforme à l’original.

Il est difficile de savoir quelle musique a été jouée sur ces instruments, mais leur possession par des musiciens populaires ne fait aucun doute. Jan Dau Melhau m’a transmis que le père « Maurissou » de Benayes jouait de sa flûte chez lui, pour lui-même ou lors de veillées, et non en public. Ces instruments relativement graves (en fa) et peu puissants, se prêtaient d’ailleurs peu à un jeu en bal. Comme les autres modèles de flûte, ils étaient englobés sous la dénomination générique de pifre ou fifre.

LES INSTRUMENTS DE SÉRIE

Fifre en ébène (détail) ayant appartenu au grand-père de M. Daniel Boisserie, qui était joueur de fifre et de flûte dans la région de Saint-Yrieix-la-Perche (87) au début XXe siècle.
Fifre en ébène (détail) ayant appartenu au grand-père de M. Daniel Boisserie, qui était joueur de fifre et de flûte dans la région de Saint-Yrieix-la-Perche (87) au début XXe siècle.

En ce qui concerne le fifre à proprement parler, de plus petite taille, on en a retrouvé des exemplaires du type tourné en ébène, produit en série au XIXe siècle et répandu dans les fanfares et musiques militaires de cette époque, mais aussi utilisé en solo par des musiciens de bal. On peut noter que le nom de fifre ou pifre a aussi désigné de petites flûtes à bec qui pouvaient être de fabrication industrielle, en bakélite (cf. article d’Eric Roux). L’industrie a ainsi fabriqué depuis le XIXe siècle, à destination de la clientèle populaire, une variété d’instruments bon marché (pipeaux, flûtes à bec, flageolets, ocarinas) que l’on retrouve parfois dans les brocantes, et qui sont les équivalents des Tin whistles des îles britanniques.


4) QUELQUES FIGURES

Monsieur Pichot, pifraire de Haute-Loire (région de Saugues), photo aimablement communiquée par Eric Roux.

Un joueur de fifre a laissé son souvenir en Limousin, il s’agit du pifraire Antoine Decomps, ancien marchand de spiritueux à Tournevite (commune de Lubersac, Corrèze). Il a été immortalisé dans l’entre-deux-guerres par un 78 tours aux éditions « Le Soleil » de Martin Cayla, où l’on peut l’entendre jouer au fifre un thème de marche de noces, à la fin de l’une des deux chansons. Ce musicien est mort vers les années 1950, et donc à ma connaissance sans avoir pu être rencontré et enregistré par des collecteurs. Il tenait le bal seul au fifre traversier, et Jan Dau Melhau me signale qu’à la fin de sa vie, il ne jouait plus que sur un pipeau de matière plastique.
Le portrait du père Maurissou de Benayes (Guillaume Maury, 1867-1955), menuisier-ébeniste, fabricant d’automates et chansonnier oral, a été retracé par Jan Dau Melhau dans son livre « Permenada au pais de las cronicas », avec les chansons de ce personnage haut en couleurs. Sans être musicien de bal, il jouait lors de veillées ou pour son plaisir, son pifre, une flûte traversière en fa qui a été miraculeusement retrouvée, et qui a pu être copiée par l’atelier de lutherie du Conservatoire occitan de Toulouse. Dans la commune voisine de Meuzac, on a signalé à Jan le souvenir d’un autre ancien joueur de fifre.

En Corrèze, un témoin m’a rapporté que son grand-père, de Juillac, citait « lo pifre » comme principal instrument de musique, et que pour lui, « lo pifre, c’était quelque chose ! ».
Dans le secteur voisin du nord-est de la Dordogne, un pifraire et fils de pifraire, monsieur Henri Grelouneau de Payzac a, lui, été enregistré (il est décédé au début des années 2000). Son père jouait des bals au fifre.

On peut [télécharger ici (site du patrimoine oral du Massif central)->https://www.massif-oral.org/dyn/portal/index.seam?page=alo&aloId=2403&fonds=&menu=&cid=109559] l’enregistrement, effectué par Eric Roux à Saugues (Haute-Loire) d’un chanteur, ancien joueur de fifre et de sa femme. Le jeu instrumental est très fragmentaire, visiblement en raison du mauvais état de l’instrument, mais la rareté de ce type de témoignage rend celui-ci émouvant.


5) TÉMOIGNAGES ANCIENS

Je finirai cet article avec quelques citations et témoignages sur notre sujet, issus de sources diverses.

– Extrait de : « L’Album auvergnat », de Jean-Baptiste Bouillet (Moulins, 1848-1853)

 

Gravure extraite de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (costumes du Mont-Dore, Puy-de-Dôme).
Gravure extraite de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (costumes du Mont-Dore, Puy-de-Dôme).

« Le plus ordinairement, dans les petits comités, on danse au son de la voix, en variant les intonations pour éviter la monotonie; le beau est de prononcer des paroles, et il est rare que chaque village n’ait pas son chanteur ou sa chanteuse, son musetei ou sa museteire. Dans les grandes circonstances, dans les fêtes patronales par exemple, l’orchestre est composé d’un tambour et d’un fifre, ou seulement de la musette chérie, qu’on appelle chabre (chêvre). Celle-ci a le plus grand attrait dans nos montagnes, tout un village s’émeut à ses sons. »

Détail des musiciens, gravure extraite de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (costumes du Mont-Dore, Puy-de-Dôme).
Détail des musiciens, gravure extraite de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (costumes du Mont-Dore, Puy-de-Dôme).

Extrait du «Dictionnaire du patois du Bas-Limousin (Corrèze), et plus particulièrement des environs de Tulle. Mis en ordre, augmenté et publié par Joseph-Anne Vialle (1824) »
Auteurs : Nicolas Béronie (1742-1820) et Joseph Anne Vialle, éditeur : J.-M. Drappeau (Tulle)

« Pifre. sorte de petite flûte d’un ton fort aigu, dont on joue en la mettant de travers sur les lèvres. Fifre. Cet instrument est souvent employé dans nos fêtes champêtres. Jouer de cet instrument, cela s’appelle pifrar. Le joueur s’appelle aussi pifre. Comme cet instrument altère beaucoup, nous disons pifrar, pour dire boire. »

Détails des musiciens, gravures extraites de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (Riom et Mont-Dore).
Détails des musiciens, gravures extraites de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (Riom et Mont-Dore).

Extraits du dictionnaire de Léonard Dom Duclou (manuscrit inédit daté de 1779, conservé à la bibliothèque municipale de Limoges), ces extraits de dictionnaires ont été relevés par Jan dau Melhau.

« Flaujon : flageolet.
Fleita : flûte, instrument de musique à vent.
Fleiticar : jouer de la flûte mais mal.
Fleiticaire : mauvais joueur de flûte.
Pifre : fifre, sorte de flûte. »

Gravure extraite de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (costumes de Riom, Puy-de-Dôme).
Gravure extraite de « L’Album Auvergnat » de Jean-Baptiste Bouillet (costumes de Riom, Puy-de-Dôme).

Extraits du livre « Velay et Auvergne : contes et légendes, noëls vellaves, devinettes, formulettes, dictons populaires, anciens costumes, les muletiers, la dentelle, vieilles enseignes, chansons et bourrées » , préf. de Régis Marchessou, éditeur : Régis Marchessou, 1903.

« Ces divers genres de chants, dont nous donnons pour chacun plusieurs exemples, peuvent se diviser en trois groupes principaux : les chansons proprement dites, les pastourelles et les chants de danse et bourrées. Ils avaient un accessoire naturel dans la vielle, la musette ou « chabrette » et le fifre, – tous instruments aujourd’hui disparus et remplacés par l’accordéon, – qui formaient alors comme l’orchestre du villageois. »

« Une bourrée, en général, n’a en général qu’un seul couplet, elle peut même se passer de paroles. Son chant est un motif à 3/8 dont la lenteur ou l’allegro de la mesure varie suivant les différents cantons du département. La danse tient du boléro, de la pavane, du quadrille et de la valse; elle demande de la souplesse et comprend plusieurs figures : les couples se poursuivent, se mêlent, s’entrecroisent, en balançant le corps et la tête, en levant les bras et faisant claquer les doigts et parfois en martelant bruyamment en cadence, sur le sol, avec le pied, les mesures du chant de la musette, de la vielle ou du fifre. »

– Récit de la fête de Saint-Fiacre à Tulle fin XIXe siècle, par François Célor-Pirkin (extrait de « Chansons populaires et bourrées recueillies en Limousin », 1904,livre qui regroupe les parutions échelonnées dans les années 1890 dans le Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze, 1904).

la_Saint_Fiacre_a_Tulle

« AUBADE DE SAINT-FIACRE (Tulle)
Patron des jardiniers
Les jardiniers de Tulle, formés en société depuis des siècles, avaient la coutume d’aller, la veille de la fête de Saint-Fiacre, leur patron, donner une aubade à tous les propriétaires adhérents à leur société.
Quel plaisir c’était pour nous, « lous élus de Tullo », de les accompagner dans leurs pérégrinations.

Par devant marchaient Jean Mome et le fils du Roi portant chacun un grand drapeau, sur lequel était gravée l’image de saint-Fiacre ; venaient ensuite Gustou avec sa flûte et Déguilhen avec son tambour. Puis les jardiniers, et enfin toute « la bouado de Tullo » (les gamins).

Arrivés sous les fenêtres du sociétaire, Gustou et Déguilhen entonnaient leur aubade : Ru tu flu, Bourdello…

Le lendemain, messe en musique à la cathédrale.
Le troisième jour au matin, nous tous gamins, nous nous rendions sous le porche du Moustier, et heureux celui à qui le père Relier, Ténassou, Menoyre, etc, voulaient bien confier un pot de fleurs qu’on rapportait en procession à Sainte-Claire ou derrière les Tours.
C’est alors que Gustou entonnait sur son flutiau la marche : Sauto tredjo…, qu’il continuait en grimpant la Barrière et la rue Sainte-Claire. »

Présence du fifre dans les concours musicaux autour de 1900 à Saint-Yrieix-la-Perche et dans les environs (sur de la Haute-Vienne) : ces mentions ont été relevées par Jean-Luc Matte et publiées dans la revue « Modal – La revue des Musiciens routiniers » dans un article centré sur la chabrette (« La chabrette limousine dans la région de Saint-Yrieix-la-Perche au travers de la presse locale, 1892-1912 », MODAL N°2 printemps 2002)

  • Le Petit Perchois (4 sept. 1892) : comice agricole, concours d’accordéons, fifres et musettes
  • Le Petit Perchois (25 sept. 1892) : fête de Ségur-le-Château, concours d’accordéons, fifres et musettes
  • Le Bonhomme Limousin (27 sept. 1896) : concours de la race porcine, concours de musettes, accordéons, vielles et fifres
  • Le Bonhomme Limousin (5 sept; 1897) : fête des ormeaux, concours de musettes, fifres et accordéons
  • Le Bonhomme Limousin et L’Echo de Saint-Yrieix (25 août 1898) : fête des Hors, concours de musique, chabrettes, fifres, accordéons, tambours, chanteurs
  • Le Bonhomme Limousin (27 août 1899) : fête des Hors, concours de musique, chabrettes, fifres et accordéons
  • L’Echo de Saint-Yrieix (1er avril 1907) : grande fête, concours de musique (accordéons, fifres, musettes, etc)
  • Le Bonhomme Limousin et L’Echo de Saint-Yrieix (12 et 19 avril 1908) : grande fête, fifres, musettes, accordéons, clarinette
  • L’Echo de Saint-Yrieix (11 avril 1909) : grande fête, concours de musique (accordéons, fifres, musettes, etc).

ARTICLES PLUS RÉCENTS

– Extraits de « Les instruments de musique populaire » par Raymond Buche, publié par la revue Lemouzi (n°11, juillet 1964).

 « Pour retrouver les plus anciens instruments à vent véritablement folkloriques, il faut aller les chercher chez nos bergers car ce sont eux, les bergers, qui sont les promoteurs, les initiateurs, les transmetteurs et les dépositaires de la Tradition.
Le plus simple de tous ces instruments est le tube de roseau (lo canèl ou canòl ou canon, de cana : nom du roseau en langue d’oc). Il rend un son d’une hauteur musicale déterminée lorsque, mis au contact de la lèvre inférieure, on souffle sur ses bords. Plusieurs de ces tuyaux sonores placés côte à côte et fixés ensemble constituent la flûte de Pan. La mythologie attribuait l’invention de cet instrument au fils d’Hermès, au dieu aux pieds fourchus qui semait la panique dans la troupe des nymphes; mais nous, plus réalistes, restituerons à nos pâtres ingénieux leur titre d’inventeurs par droit de primogéniture. La flûte dite de Pan, connue dans nos campagnes sous les noms plus exacts de fleita de Biarnés (flûte de Béarnais), sanadoira, penche de sanaire (peigne de castreur), avec ses notes aigües et aigrelettes, ne dut pas être beaucoup utilisée dans les bals. On l’entendait davantage résonner derrière les troupeaux. Mais, surtout, elle devint l’instrument favori, le signal caractéristique de ces artisans ambulants, de ces spécialistes d’une chirurgie spéciale que rappelle le nom patois de l’instrument : los sanaires (les castreurs et hongreurs de village). J’ai bien connu l’un d’eux, le père Treinsoutrot, du Jardin.On l’entendait de très loin annoncer sa visite dans un village, et la mélodie qui sortait de son instrument rudimentaire était, si mes souvenirs sont bons, pas du tout désagréable : quelque chose, si vous voulez, d’intermédiaire entre la musique des galoubets de Provence et les chants d’amour des crapauds tels que nous les entendons par les belles nuits d’été. J’essaie d’être précis. Il ne faut pas rire : c’était bien cela. Avec le dernier « sanaire », la « sanadoira » a cessé de turelurer par les rues des villages. Autres temps, autres moeurs!… »

« Le frère cadet au petit chalumeau de paille est le sifflet (en limousin classique : siblet, siulet, du latin sibilitus, de sibilus; en limousin moderne : eschufle, estufle, estchurlet, eschurlòl…). Le sifflet ordinaire se fait avec un bout de sureau dont on a retiré la moëlle, une tige creuse de certaines plantes (berce, spirée ulmaire…) ou une écorce prélevée sur de jeunes pousses de saule ou de châtaigner. L’anche est ici remplacée par un bec, c’est-à-dire un bout de bois en biseau et un trou vibratoire. Cet instrument, très incomplet car ne donnant qu’une seule note, a été perfectionné : il est devenu le merveilleux « grand eschufle » des enfants de Tulle et qui donne de si doux sons modulés pour peu qu’on tire ou qu’on pousse le piston central, ce qui lui donne une vague allure de trombonne à coulisse-miniature. C’est sans doute ce sifflet-là qui était utilisé à tulle, au siècle dernier, dans ces célèbres réunions du Trech connues sous le nom de « Bal del Chalelh »; c’est ce sifflet-là que rappellent les paroles plutôt scabreuses de la bourrée qu’on chantait à ces réunions :
« Lo trauc del cul (tior, à Tulle) de nostr’ainada es fach en mòda d’eschuflòl…
Aquel eschufle n’es tan brave : ne garit del mal de la set.
Quand auras fach ton estuflada, presta l’estufle a ton vesin… »

« Passant par divers intermédiaires qui n’ont guère laissé de souvenirs dans notre folklore, le sifflet donna naissance à la flûte, au fifre et au flageolet. La flûte (flaüta en limousin classique, fleita en patois). Le modèle usité en limousin jusqu’à une date récente (fin du siècle dernier) était des plus simples. Du type « flutte d’alemant », comme dit Rabelais, c’était un long tube de bois ouvert à l’un des bouts, percé de trous, et dans lequel on soufflait par une embouchure latérale.
« Robin se soven de sas fleitas », déclare une vieille expression : pourtant, on ne se souvient plus guère de la petite flûte traversière de nos ménétriers d’autrefois. « Çò que ven pèr la fleita se’n tòrna pèl tambor » : le goût du changement est de ce monde.
Le fifre (lo pifre), instrument relativement récent (il ne remonte pas au-delà du XVIIIe siècle), n’est autre qu’une petite flûte en bois aux sons très aigus. On s’en servait, en Limousin, pour les aubades : aubades du jour de l’an et quête des oeufs (los guilanèus); aubades du premier mai sous les fenêtres des jeunes filles à marier (las maiadas, a l’entrada del temps clar, eia!); aubades des fêtes corporatives (comme cette fête des jardiniers de Tulle où notre instrument accompagnait de ses cris stridents la Marche de Saint Fiacre et le non moins fameux Rutuflu Bourdelle).
Le flageolet (lim. flajòl, flaijòl, flaijòlet), connu dès le XIIe siècle, est une petite flûte droite, à bec, genre pipeau actuel ou flûte douce. Instrument favori des bergers, il accompagnait aussi les cortèges et faisait danser. »


6) « Ribeyre »


Haute-Loire – Fifres et tambours
Par Éric ROUX

Article publié dans MODAL La revue des Musiciens Routiniers, n° 5 Automne 1984, reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Il y a deux ans, dans le cadre des recherches sur la musique à danser que nous entamions dans la vallée de l’allier en Haute-Loire, l’étude des textes concernant cette région nous fournit des renseignements qui guidèrent nos enquêtes vers un sujet que nous ne pensions pas aborder jusqu’alors.

« Le reinage ( Le Reinage est le nom donné aux fêtes patronales dans l’ouest de la Haute-Loire, vogue et « vota » dans l’est du département.) de Chanteuges n’est pas moins curieux, il a lieu le dimanche de Pentecôte. Ce jour-là, les jeunes gens de la commune, conduits par le fifre et le tambour, se rendent au pré du fou ( Voir Roux Eric, « la fête du pré du fou », in « Parlem » n°9, 1983, Revista trimestrala auvernhata de l’Institut d’Estudis Occitans, p. 7-8.) sur les bords de la Desges, au pied de la roche basaltique où est assis Chanteuges (voir plan n° 1).
(…)
Cette scène (la recherche du fou), qui dure environ trois quarts d’heure, n’est plus accompagnée comme autrefois de coups de pistolets tirés en l’air, mais se passe toujours au son du fifre et du tambour. »

Ulysse Rouchon ( Rouchon Ulysse, « La vie paysanne en Haute-Loire », tome III, « les travaux et les jours rustiques », Le Puy-en-Velay, éditions de la Société des Études Locales, 1936, p.199-201.) publiait en 1936 ce texte qui pouvait nous faire espérer lors de futures enquêtes des indications précises sur la pratique du fifre et du tambour dans la région de Chanteuges, mais notres espoir fut plus vif à la lecture d’Arnold van Gennep ( Van Gennep Arnold, « Le folklore de l’Auvergne et du Velay », Maisonneuve éd. 1943, p. 116-126.), qui écrivait en 1942 à propos du même reinage :

« Le curé donne la bénédiction avec la croix processionnelle. (…) Une symphonie prolongée de fifres et de tambours marque le point culminant de la fête. »

Plusieurs enquêtes su la fête du fou nous ont permis de rencontrer deux joueurs de fifre et un joueur de tambour, et c’est ce que nous ont appris ces musiciens sur leur pratique et leur lien avec la fête du fou et d’autres reinages que nous nous proposons de vous faire partager. Mais terminons notre tour d’horizon bibliographique avec un texte de P. Mamet ( Mamet P., « Petits métiers », in « L’Almanach de Brioude », 1922, page 122.), qui nous a permis récemment d’élargir notre étude sur le fifre et le tambour au Brivadois (plan n° 2).<diapobis2966|right>

« Les ménétriers étaient nombreux autrefois. (…) flûtiste avec le fifre à bec ou la petite traversière à clef et enfin les tambours. Quelques-uns des flûtistes étaient talentueux. Je n’ai qu’à citer la flûte artiste de Vezin, de Jacques Boyer, (…), et surtout mon tambour, mon vieux tambour, le père Cornaire de Lavaudieu dit le Bourlat. (…) Le mien (mon tambour) battait les ras de cinq ( Suite de cinq battements en bâtons rompus commencée et terminée par la main droite, chaque note percutée distinctement, séparées par un silence, et travaillées par les deux mains.), et les coups anglais ( Suite de battements en bâtons rompus, le deuxième de chaque main étant un couo simple, ornementé d’une appogiature brève.) et c’était beau, à ses côtés cheminait Jacques Boyer dont le fifre aux sons aigus accompagnait le pas redoublé du tambour : tu tu pan pan, comme dit Daudet. (…) A la procession de Saint-Maurice ( La Saint-Maurice est fixée au 22 septembre et le reinage de Lavaudieu a lieu le dimanche qui suit cette date.), qui se déroulait à travers les champs et les prés de la Mèze, les turlututus et les ras de nos deux artistes étaient vraiment impressionnants. Tambour et fifre étaient payés au forfait par les jeunes gens de la fête. »

Nous n’avons pas rencontré de musiciens à Lavaudieu, mais le souvenir de ceux que cite P. Mamet est encore vif et nous ferons appel aux renseignements collectés sur le Brivadois pour préciser, compléter, ou comparer ce que nous apprenons depuis longtemps dans le Langeadois
LES INSTRUMENTS : TERMINOLOGIE ET ORGANOLOGIE

Les informateurs que nous avons rencontré dans la région de Langeac utilisent le terme « fifre » en français, ou « fifre » [fyifre] ( Tous les termes occitans sont d’abord donnés en graphie normalisée puis en graphie phonétique Straka.) en occitan pour désigner les trois types d’instruments qu’ils utilisent. Dans le région de Blesle, des informateurs nous parlant d’un instrument à bec en bois à six trous, utilisaient le terme « pifre » [fyifre]. Par contre, dans la région de Charraix (commune située au-dessus de la vallée de l’allier, à proximité de la route qui va de Langeac à Sauges), des informateurs nous ont parlé d’un musicien qui utilisait en bal ou pour accompagner les classards (détail important de la pratique des joueurs de fifres de la région de Langeac sur lequel nous reviendrons) une « fiula » [fyiuȓa] qui se démontait, et qu’il mettait dans sa poche. Chez les trois auteurs, cités ci-dessus, eux aussi donnent le terme français fifre, Mamet donnant même une description sommaire des deux types d’instruments utilisés. Henri gilbert, écrivain originaire de Chilhac, cite dans les notes étymologiques de « la covisada » ( Gilbert Henri, « La Covisada », Paris, Librairie Gibert éd. 1923, p.180.), le terme fifre et dit :

« On dansait autrefois la bourrée au son de la chevrette, du fifre et du tambour. »

Régis Marchessoux ( Marchessoux Régis, « Velay et Auvergne », Régis Marchessoux éd., Le Puy-en-Velay, 1903 p.292-294.) nous donne le terme fifre en parlant des instruments qui faisaient danser la bourrée. Nous pouvons remarquer à partir de ces quelques éléments, l’importance du terme fifre qui désigne soit une flûte à bec à six trous, en bois ou en bakélite que l’organologie académique ( D’après Tranchefort François-René, « Les instruments de musique dans le monde », Tours, Seuil éd., 1980, tome II, coll. Point-Musique, p.13-38.) appelle flageolet de modèle anglais (comme par exemple le Tin whistle), soit une flûte traversière de petite taille à clé, avec de six à huit trous, que l’organologie académique appelle aussi fifre. Le terme « fiula » est souvent utilisé accolé au prénom du musicien comme « Pierre de la fiula » de Charraix, ou « Joseph la fiula » de Langeac. Les informateurs utilisent le terme fifre pour les instruments se rapprochant de ceux qu’ils utilisent (ex. flûte dite baroque, que possède l’un des musiciens), mais nous n’avons jamais entendu le terme français de flûte. Pour désigner l’instrumentiste, ni auprès des informateurs, ni dans les livres nous n’avons trouvé de noms, hormis le terme très académique de flûtiste donné par mamet, mais les musiciens utilisent les phrases : « jogar lo fifre » [dzuga lu fyifre] (jouer du fifre), ou « joga lo fifre », [dzuga lu fyifre] (il joue du fifre).

Le joueur de tambour que nous avons rencontré joue soit sur un tambour ¾, soit sur une caisse-claire, qu’il nomme avec les termes de l’organologie académique. Henri Gilbert ( Gilbert Henri, « Countes de la lunaire », Paris, Librairie Gibert éd., 1913, p.32, p.55.) nous donne, dans l’un de ses contes, le terme « tabour » (graphie de l’auteur : « tabor » [tabur] ) pour désigner l’instrument, et « tabournaire » (graphie de l’auteur : « tambournaire », [tãburnaire], pour désigner l’instrumentiste. Nous trouvons dans une chanson ( Régis Marchessoux 1. c. p.300.) du bassin du Puy le mot « tambournayre » (graphie de l’auteur : « tambornaire », [tãburnaire], pour nommer l’instrumentiste.
Du point de vue iconographique, Marchessoux ( Régis Marchessoux 1. c. h.t.) publie dans son livre la représentation d’une noce de campagne où l’instrumentiste joue du fifre (voir photo n° 1).

roux4-600pxEn ce qui concerne les fifres des trois types utilisés dans le Langeadois, un paraît correspondre à ce que préfèrent ou préféraient les musiciens. C’est celui de la photo n° 3 à gauche. Ce fifre a été acheté à Langeac chez une épicière par le plus âgé des musiciens que nous connaissons. Nous espérons trouver dans les carnets de comptes de la dame qui tenait l’épicerie le nom de son fournisseur. Nous pensons que l’instrument de facture peu finie est peut-être de fabrication locale. Le fifre que tient M. Pichot sur la photo N°4 semble identique à celui de la photo N°3. Ce fifre est en buis, le bouchon est fait d’un bois plus tendre. La perce est très légèrement conique. Il possède six trous de jeux de diamêtre constant, à peu près régulièrement répartis (nous communiquons le plan de ce fifre). Le sifflet présente la particularité d’avoir une lumière très large (compte tenu que l’instrument que nous avons pu vois a le biseau ébréché), à ceci, il faut ajouter que l’instrument doit être joué humide ( L’instrument que nous avons trouvé est fendu en longueur sur sa face postérieure, éclatement sans doute provoqué par le travail du bec sur le bouchon gonflé par l’humidité.), (trempé dans du vin, de l’eau parfois bénite !), ces deux caractères permettant d’obtenir une meilleure puissance sonore. Est-il nécessaire de préciser que nous avons affaire à un instrument de plein vent devant sonner avec un couple de tambour. Ce fifre doit sonner en ré. Nous connaissons deux instruments de ce type qui ne s’est plus trouvé dans le commerce à Langeac à partir de 1923, les musiciens se sont alors procurés des « fifres » en bakélite comme celui de la photo n° 3. Ils se procuraient ce type d’instrument à Langeac toujours chez la même commerçante.Les deux fifres qu’utilisent les musiciens sont signés Atlas à Paris.Le fait qu’ils soient en bakélite présent le gros inconvénient de ne pas absorber l’humidité du souffle, ce qui oblige les musiciens à souvent les nettoyer pendant le jeu. C’est une des raisons qui font préférer les instruments en bois. Ces fifres sonnent en ré. Sur tous les enregistrements que nous avons réalisé avec les musiciens du Langeadois, c’est ce type d’instrument qui est utilisé. Le troisième type d’instrument utilisé est un fifre (au sens académique), sans clé, qui a été acheté à Paris. Pour les musiciens de Langeac, ce type d’instrument n’était pas utilisé lors des reinages. Mais des utilisateurs de ce fifre nous ont été cités à Lavaudieu et à Saint-Eble ; de plus, c’est ce type d’instrument qui est figuré sur les documents iconographiques. En effet, que ce soit Bouillet ( Bouillet J.-B., « Album auvergnat », Moulins, typographie de P.A. Desrosiers éd., 1853, h. t.), publiant deux gravures où sont représentés des joueurs de fifres, ou que ce soit sur la gravure que publie Marchessoux ( Régis Marchessoux 1. c. h.t.) (photo n° 2), nous avons affaire à chaque fois à des fifres traversiers. P. Mamet ( P. Mamet l. c. p.122.) nous dit, dans sa très courte description des instruments, « la petite traversière à clef ». Il faut comparer nos trois types d’instruments avec ce qui est appelé en Provence, en Languedoc et en Gascogne « pifre » et au portugal « pifero », qui est toujours un instrument traversier, tandis que pour la Provence ou la Gascogne existent des flûtes ressemblant à notre fifre en buis, par exemple « hlaguta » en Gascogne. Nous pouvons nous demander si nous avons affaite à des types différents en organologie, en terminologie et dans la pratique, qui se trouvent réunis sur le Langeadois, pour des raisons historiques et culturelles.
Comme nous l’avons déjà dit plus haut, les tambours (photo n° 5) correspondent à l’organologie académique. Le musicien que nous connaissons préfère utiliser une caisse-claire ;

LA PRATIQUE

roux5-600pxNoua avons vu que le couple fifre-tambour participait aux reinages. Pour la fête du fou à Chanteuges, les classards étaient accompagnés dans leur quête, pendant la recherche du fou, à l’église, par deux fifres et deux tambours (ceci jusqu’en 1950). A Mazeirat-d’Allier (carte n°1), joueurs de fifres et « tabornaires » accompanaient une procession religieuse qui avait lieu pendant le reinage de cette paroisse. A Siauges-Sainte-Marie, les joueurs de fifres et tambours « menaient » les classards durant le reinage. A Vergezac, c’était pendant la course aux rubans ( Dans certaines communes du Velay, à la sortie de la messe, tout le monde se rassemble. Les jeunes gens à cheval sans selle, vont dans un pré courir le ruban. Celui qui arrive le premier dans chaque course reçoit des mains d’une jeune fille, un ruban qu’il mettra à sa boutonnière ou à son chapeau.) que fifres et tambours jouaient. A Lavaudieu, la Saint-Maurice, reinage de cette paroisse, réunissait MM. Boyer, Vezin, Coraire, pour accompagner les classards lors de la procession qui se déroulait à la Mèze. Il apparaît avec ces quelques exemples que le couple fifre-tambour avait un rôle important lors des processions, des quêtes et des jeux qui ont lieu pendant les reinages.

20120703091551674_0003-72dpi-p6Sur la photo n° 6, nous voyons trois musiciens de Chanteuges poser avec les classards acteur de la fête du fou. Ces musiciens sont très liés aux classards, d’ailleurs comme nous le dit P. Mamet, et comme nous l’ont expliqué les informateurs, les joueurs de fifre et tambours étaient « embauchés » et payés sur la quête réalisée par les classards ( Les musiciens de Chanteuges recevaient des classards dans les années 1920-1925, 50 F pour la journée.), alors que les musiciens de bal étaient payés à la danse ou par des quêtes qu’ils réalisaient eux-mêmes au cours du bal ( A Langeac à la même époque, les deux danses coûtaient 2 sous dans les bals les jours de foire.). Le couple fifre-tambour est un élément important du rite de passage qu’accomplissent les classards. Dans le cas de la fête du fou, il nous apparaît comme un des symboles culturels, peut-être le plus important, qui relie les classards à la communauté cuturelle et les aide dans leur lutte contre l’inculture du pré et de l’isolement du fou, lutte qui sera gagnée par les classards pour accomplir leur « passage ». Le plus important, car participant du début de la quête du samedi après-midi, jusqu’au bal du dimanche soir, tandis que les autres, drapeaux, piques, boissons alcoolisées, cris des classards, encouragements de la foule, ne sont présents qu’à des moments précis.

La différence de pratique entres les joueurs de fifres et de tambours qui accompagnent les classards pendant les reinages et les joueurs de « chabreta », violon, ou accordéon qui eux, jouent aux bals organisés pour les classards pour le reinage ou le retour-de-reinage ( Le retour-de-reinage ou retour-de-vogue, pendant lequel est organisé un bal, a lieu le dimanche qui suit le reinage.) semble créer deux modes musicaux, ayant à remplir un rôle social distinct ( Les hautbois de « chabreta » que nous avons trouvé dans la zone d’utilisation du fifre sonnent presque tous en ré.). Ceci pouvant se trouver confirmé par l’insistance des musiciens à se reconnaître de l’un ou de l’autre ; tel joueur de fifre affirmant qu’il n’a jamais joué en bal, ou tel accordéoniste disant que les quêtes et les processions « c’est pour les joueurs de fifres ». Mais les joueurs de fifres pouvaient faire danser quelques bourrées à la sortie de la messe ou le soir au bal. Ce qui permet d’insister sur la différence de résultats que peut donner l’étude du discours ou l’étude de la pratique ; les musiciens nous ont affirmé (fermement, et parfois avec énervement) ne pas avoir joué en bal, tandis que les discussions avec les danseurs font apparaître le contraire.

Les deux joueurs de fifres que nous connaissons ont appris vers l’âge de dix ans avec M. Pichot (photo n° 4), il est à signaler que que tous les enfants de même génération que ces musiciens avaient un fifre qu’ils pouvaient se procurer pour cinq sous à Langeac. Ils ont commencé à accompagner la fête du fou avec Pichot à l’âge de treize ans. Les joueurs de tambours apprenaient à jouer, pour ceux que nous connaissons dans le Langeadois, à la fanfare locale. Mais ce n’était peut-être pas toujours le cas, car le nombre de joueurs autres que les musiciens de fanfare est très élevé. La plupart de ces « tabornaires » isolés jouaient aussi pour la classe.

Suite à ce que nous venons de dire, le répertoire est très lié aux quêtes et aux processions. A Chanteuges, les musiciens connaissent six marches, quelques bourrées et quelques valses. Parmi ces six marches, on reconnaît la « iouska » et le « brise-pied » : « d’où viens-tu petit Bossu ? ». Les quatre autres marches nous étaient jusqu’alors inconnues et ont un caractère très méridional (on nous excusera de ce qualificatif trop subjectif). Nous publions la partition de celle qui étai jouée à l’élévation. Ce répertoire peut paraître très restreint mais est surtout très spécialisé et confirma la spécialisation de la pratique sociale du couple fifre-tambour.

Au niveau technique, les joueurs de fifres utilisent la plupart du temps l’octave supérieure de leur instrument qu’ils obtiennent en augmentant leur souffle, pratiquement sans modifier leur doigté. Les fioritures mélodiques sont peu importantes mais l’attaque et la modulation des notes sont très accentuées. L’un des musiciens change d’octave au cours de son jeu et fait aussi une tierce sur deux bourrées, ce qui pourrait présenter le groupe 2 fifres, 2 tambours comme un ensemble polyphonique. Il nous a été signalé le trio fifre-chabrette-4 tambours, qui, dans l’utilisation de deux instruments mélodiques, recherchait peut-être une certaine forme polyphonique (?). Le fifre est généralement tenu de travers dans la bouche. La fermeture des trous est obtenue par l’articulation de la première et de la deuxième phalange et parfois le troisième trou est ouvert par glissement de l’index !

EN GUISE DE CONCLUSION

4 M. Pichot était passeur sur l’Allier à Pourcheresse. Le fifre qu’il tient dans ses mains semble identique à celui de M. Sicard J. (14/01/1982). Photo aimablement communiquée par Eric Roux.
4 M. Pichot était passeur sur l’Allier à Pourcheresse. Le fifre qu’il tient dans ses mains semble identique à celui de M. Sicard J. (14/01/1982). Photo aimablement communiquée par Eric Roux.

Notre recherche au bout de deux ans de travail commence à nous permettre d’élaborer quelques hypothèses sur un sujet jusqu’alors peu abordé dans le Massif Central, et à mesure de l’avancement du travail les données s’accumulent et la région d’étude s’étend. Nous connaissont maintenant neuf joueurs de fifre sur le Langeadois dont le souvenir est encore vivace, et douze joueurs de tambours ayant pratiqué pendant les reinages.

De plus, les classards de Chanteuges souhaitent de nouveau mener la quête et la recherche du fou par les fifres et tambours…

Les recherches ont été, en partie, menées dans le cadre de l’I.E.O. Haute-Loire. Merci à Jean Roux, membre de cette association, pour son aide à la transcription occitane.

Eric Roux – Mai 1984.

Je tiens à remercier pour leur accueil et leurs enseignements tous les musiciens que j’ai rencontrés au cours du travail d’enquête dans le Langeadois, et plus particulièrement M. et Mme Sicard Joseph, M. Sicard René et M. Robert, joueurs de fifres et de tambours.


7) Documents annexes

Fac-similé de la flûte du « père Maurissou » (copie effectuée par l’atelier de lutherie du Conservatoire Occitan de Toulouse). Seul le modèle de clef n’est pas conforme à l’original.

 

Fifre en ébène ayant appartenu au grand-père de M. Daniel Boisserie, qui était joueur de fifre et de flûte dans la région de Saint-Yrieix-la-Perche (87) au début XXe siècle.

 

Flûte ayant appartenu au grand-père de M. Daniel Boisserie, qui était joueur de fifre et de flûte dans la région de Saint-Yrieix-la-Perche (87) au début XXe siècle.

Carte postale ancienne communiquée par Eric Roux.

PHOTO-2-JM

Extrait de l’article de Pierre-François Fournier (« Le piédestal de croix de Nébouzat et les bourrées d’Auvergne », dans « Auvergne – Cahiers d’études régionales », N°121, L’Auvergne Littéraire 1947).||