« Camillou » Gavinet et Louis Jarraud

Deux chabretaires en limousin

Portrait de deux célèbres chabretaires limousins par Eric Montbel (Extrait du livret du CD “Chanteurs et musiciens en Limousin”art24 CRMT003, 2000.)

Camillou-Gavinet_WebJ’ai rencontré Camillou Gavinet le 25 mars 1978. Il était alors gardien du château de Fressinet, dans les environs de Château-Chervix. Il ne jouait plus de chabrette depuis quinze ans, pourtant l’instrument était toujours là, dans la chambre à coucher… Dès cette première soirée où il se jeta sur ma chabrette, et dont il tira des répertoires inconnus durant plus d’une heure, je fus frappé par l’énergie et la violence qu’il projetait dans sa musique : sons tordus, triturés par les doigts bien sûr, mais aussi par les coups de genou où s’écrase la colonne d’air, par les pressions sur le sac de la cornemuse, par les pieds battants et par cette bouche qui donnait l’impression d’avaler l’instrument plus que de l’insuffler. II en résultait un univers sonore peu académique, plein de rêves brouillés et de bruits, où la mélodie se frayait vaille que vaille un chemin de mémoire ; mais aussi un sentiment de joie et d’effervescence qui, je le crois maintenant, importait seul a Camillou Gavinet : la danse, la fête, la drôlerie de la mise en scène et des postures, voilà ce qu’était sa musique de chabrette, et que l’on percevra peut-être dans la pièce musicale que nous avons choisie ici. II faut ajouter que Camillou Gavinet était le petit-fils du fabricant Charles Gavinet, qui l’éleva, qui lui transmit son style et son répertoire, qui lui fabriqua une chabrette décorée d’un large miroir rectangulaire, identique à cette cornemuse ancienne jouée depuis au moins deux siècles aux environs de Limoges.

 

Bien différent est l’univers de Louis Jarraud son monde est celui de la délicatesse, de la précision (il répare les horloges). Il joue sur une cornemuse à soufflet, les anches de ses bourdons sont en sureau. Son répertoire lui vient de ces chabretaires qu’il allait écouter à la messe de minuit à La Croisille, là où il vit encore aujourd’hui : des cantiques, des airs de noce, des marches, qu’il interprète debout, lançant des mélodies anciennes dans la fraîcheur de la pièce spéciale qu’il possède à côté de sa maison, sa boutique de chabrette où s’épanouissent les sons de sureau et de roseau. Il possède de nombreux hautbois, de longueur et de timbres divers, et son plaisir est de tout faire entendre, de colorer l’espace musical pour passer un bon moment en compagnie. C’est un savoir-vivre délicat comme l’ombre d’un jardin : la musique y pousse et toute la jeunesse est venue là, chercher auprès de Louis Jarraud, l’intimité et l’amour du détail, afin de ressourcer ses propres audaces.

Louis Jarraud, Camillou Gavinet : deux chabreraires, deux styles, deux sonorités différentes, deux personnalités projetées par leur musique. Les chabretaires furent nombreux en Limousin : plusieurs dizaines recensées depuis 1850. On se prend à imaginer autant de mondes sonores, aussi riches que celui des deux joueurs de cornemuse présents ici… car c’est cette voie-là, celle qu’ils ont tracée pour nous et pour longtemps, qu’il s’agit de suivre.

Eric Montbel, 1999.

Pour en savoir plus

CD « Chanteurs et musiciens en Limousin »

Mazurka du pai Tiro : Camillou GAVINET, Chabrette (1978)

 

Revelhatz-vos pastouraus (chant de Noël) : Louis JARRAUD, chabrette, (1978)

 

L’âme entendit : Louis JARRAUD, chabrette, (1978)

 

La phonothèque du CMTRA

Cahier de répertoire pour chabrette par Eric Montbel
200 airs pour la chabrette limousine et autres cornemuses du Centre recueillis et choisis par Eric Montbel et transcrits par Laurence Charrier.

Archives sonores du limousin disponibles au CMTRA
Présentation des archives sonores limousines du CMTRA (Centre des Musiques Traditionnelles du Monde en Rhône-Alpes). Il s’agit du fonds sonore des « Musiciens routiniers-Eric Montbel » et du fonds de Sylvestre Ducaroy dont les enquêtes ont été réalisées pour partie en Limousin. |